Aviation américaine des années 50/60

Aviation américaine des années 50/60

Gunsight

Le viseur du Crusader comprend un écran de verre transparent sur lequel le réticule de visée est projeté devant les yeux du pilote. Le verre, de haute qualité optique,  est monté au-dessus du tableau d'instruments, entre les yeux du pilote et le pare-brise. C'est un rectangle d'environ douze cm de long, sept de large et un bon centimètre d'épaisseur. Il doit peser un kilogramme. Il est monté dans un cadre métallique, incliné de 45 degrés vers le pilote. Pour un démontage facile, par exemple pour le nettoyer, il suffit d'enlever les deux clips métalliques de dix cm de long qui le fixent dans son cadre.

 

Pour le personnel chargé de l'armement de l'avion, c'était une pure routine de démonter la vitre du viseur pour la nettoyer, puis de la refixer à l'aide des deux clips. Il s'agissait d'une opération de trente secondes, que le pilote effectuait, lui aussi, fréquemment. La visiblité vers l'avant est réduite dans le Crusader, car le pilote doit regarder à travers plusieurs centimètres de verre, constitués par le pare-brise blindé et la vitre du viseur. Voir vers l'avant est aussi crucial pour l'appontage qu'en combat aérien, peut-être même encore plus.

 

Alors que je roulais vers la catapulte babord du Shangri-La, par un beau jour d'été 1963 en Méditerrannée, j'avais un mauvais présentiment. Cela m'ennuyait car, malgré tous mes efforts, je n'arrivais pas à en identifier l'origine.

 

Mon instinct a toujours été assez développé. Je savais qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, mais impossible de savoir quoi.

 

Je récitais trois fois les actions de la procédue de pré-décollage, touchais chaque instrument listé dans la procédure: "trim de catapultage réglé", "manette de barre sortie", "incidence de l'aile réglée", etc. Je répétais tout à voix basse. Rien à faire, toujours ce mauvais présentiment... Pourtant, apparemment rien de bizarre. Maintenant, la roulette de nez de mon Crusader passait par-dessus la navette de la catapulte et retombait de l'autre côté, sur le pont. Le directeur de pont  d'envol me faisait des petits signes pour me faire avancer doucement, jusqu'à ce je sente le "clunk" quand l'avion arriva en butée du dispositif de retenue. C'était une magnifique journée ensoleillée, avec un ciel bleu et un horizon très clair. Je me disais que tout était parfait, mais toujours ce doute persistant... Ce malaise et le sentiment d'une catastrophe imminente, engendrés par dix années d'expérience sur porte-avions. Quelque chose n'allait pas, je le savais!

 

Dès que le système de retenue fut tendu, le directeur donna le signal au machiniste de catapulte pour faire avancer la navette. Simultanément, il me donna l'ordre de lâcher les freins pour le tensionnement. Une fois de plus, je récitais ma check-list et refaisais un rapide tour visuel de ma cabine. Bon Dieu! Je me disais: mais qu'est-ce qui ne va pas? Qu'est-ce qu'il y a ? Mais rien de rien.

 

Du coin de l'oeil, je vis l'opérateur de la catapulte mettre ses mains au-dessus de sa tête. Je savais qu'elles iraient tout droit où elles devaient aller, dès que celle de l'officier de catapultage toucherait le pont. C'est seulement à ce moment qu'il serait autorisé à baisser les bras et qu'il appuierait sur le bouton de libération de la catapulte. Ensuite, deux secondes suffiraient pour que les valves libèrent la vapeur et que la navette parte en avant, cassant le système de retenue et m'envoyant, moi et mon Crusader, au-delà du pont d'envol.

 

Le moteur tournait rond, à la puissace militaire, et une fois de plus, je récitais mes actions de décollage. Le malaise persistait. Je me disais: "ce n'est pas possible, mon imagination me joue un tour". J'appuyai fermement ma tête contre le siège, saluai vivement l'officier de catapultage de ma main droite avant de la replacer sur le manche, la positionnant pour le choc. C'est à ce moment précis, lorsque je détournai mon regard de l'officier de catapultage pour regarder vers l'avant, que je VIS! J'étais horrifié!

 

Là, directement en face de moi, les deux clips de fixations de la vitre du viseur pendouillaient, un seul de leur côté étant accroché à la vitre. En un éclair, je compris immédiatement ce qui allait m'arriver.

 

Une loi de la physique stipule qu'un corps au repos tend à le rester. D'ici une seconde, ou une fraction de seconde, la catapulte allait être libérée. Et un morceau de verre d'un kilo accélererait instanément jusqu'à 280 km/h pour traverser les soixantes centimètres, entre son emplacement et celui de mon nez. Il s'ensuivrait une mort immédiate... Aussi sûrement que si je me mettais un 357 Magnum dans la bouche et que j'appuie sur la détente. Le Crusader serait lancé, sans pilote pour le diriger, et s'abimerait dans les flots, avec moi dedans, pour couler par trois cent mètres au fond de la Mer Egée.

 

Personne ne saurait jamais ce qui était arrivé à ce vieux Paul. Juste un mystère de plus dans l'histoire de l'aviation navale. Une autre conséquence inexpliquée de ce métier à risques. Des nano-secondes s'écoulaient, me rapprochant inéxorablement de ma fin. Mes yeux étaient fixés sur ces deux damnés clips. Mais un signal fut envoyé par mon esprit à mon système nerveux central, à la vitesse de la lumière. Il fut aussitôt transformé en une impulsion électrique qui contracta les muscles de ma nuque. Cela accéléra ma tête à gauche, frappant la verrière avec mon casque, au moment même où je voyais la vitre du viseur quitter son cadre et les crochets voler de chaque côté, puis la vitre accéler vers moi, tout cela comme dans un film au ralenti. La vitre se brisa en mille morceaux lorsqu'elle heurta le coussin de tête de mon siège, chacun d'entre eux trouvant son chemin vers mon cou à travers le col de ma combinaison de vol.

 

Pendant ce temps, le Crusader quittait le pont d'envol, avec ma nuque tirant encore ma tête de côté, à demi soutenue et glissant le long de ma verrière. Mais le plus important était que le Crusader volait et que j'étais encore vivant. Alors que la morsure des éclats de verre commençaient à abraser la peau de mon cou, je poussais un "Wow". Jamais plus, je n'ignorerai ce sixième sens, cette persistence et ce sentiment de malaise, ce signal que mon esprit m'envoyait desespérément!

 

(Librement traduit de: Crusader: Last of the Gunfighter - Paul T. Gillcrist, RADM - USN, Ret.)

 

 

 



12/05/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 5 autres membres