Aviation américaine des années 50/60

Aviation américaine des années 50/60

Lt "Rip" Rohrer

Le Lieutnant (1) "Rip" Rohrer rejoint la flotille VF-191 "Satan's Kittens" en 1954, peu après le Lt (jg) (2) Gillcrist. Le VF-191 est équipé du récent F9F-6 Cougar, fabriqué par Grumann.

 

Engagé comme simple matelot quelques années plus tôt, "Rip" avait déjà effectué un tour dans une flotille de la Côte Est, sur F4U Corsair. Il était sorti du cours de transformation sur réacteur et ne possèdait qu'une cinquantaine d'heures de vol sur jet dans son logbook (3). Comme Paul Gillcrist, jeune pilote dont c'était la première affectation en unité après sa sortie d'école, et malgré ses années dans la Navy, il était considéré comme un "Nugget" (4) devant son manque d'expérience sur avion à réaction et sa méconnaissance des procédures en cours au sein d'une flotille de la Côte Ouest.

 

Agé d'une trentaine d'année, il était un garçon bien bâti, qui avait été champion de catch de la Navy dans la catégorie des poids moyens, avant de devenir pilote.

 

Rip et Paul étaient prévus ce jour-là pour un vol de familiarisation et d'orientation, au profit du premier. Néanmoins, comme Rip avait plus d'expérience aéronautique que Paul Gillcrist, il était le leader de la section, et Paul son ailier.

 

Après avoir effectué quelques figures acrobatiques de base et mené quelques combat à deux avions au-dessus de la zone d'entraînement au Nord-Ouest d'Oakland (Californie), les deux pilotes prirent le cap du retour jusqu'à leur base de Moffett Field.

 

Ils volaient en formation de combat standard à 35 000 pieds (5), les deux chasseurs côte à côte et éloignés l'un de l'autre d'environ un kilomètre. Lorsque soudain Paul aperçut deux F-86 Sabre de l'Air Force, approchant dans leurs six heures, à une distance estimée à cinq miles (6). Ils tentaient à coup sûr une interception sur les deux Cougar de la Navy. Paul avertit Rip, qui les vit également. Le leader annonça à son ailier qu'ils allaient faire face aux Sabre en exécutant un demi-huit cubain. Cette manoeuvre consiste en une demi-boucle suivie d'un demi tonneau au sommet. Cette action aurait été une bonne tactique, si elle avait été menée depuis une altitude de moins de 15 000 pieds. Mais il n'y avait aucune chance pour un F9F-6 de la réussir à 35 000 pieds... Aucune!

 

Paul savait cela, mais visiblement, Rip l'ignorait. Avant que son ailier n'ait pu l'avertir, le leader avait engagé la demi-boucle, et Paul, en bon ailier, le suvit.

 

Passés la verticale, le nez vers la haut, les deux chasseurs n'eurent bientôt plus de vitesse. Paul lut 90 noeuds (7) à son badin la dernière fois qu'il le regarda. Comme il le raconte lui-même, il n'eut plus le coeur de le surveiller ensuite. Il avait également perdu de vue les deux attaquants, et même tout intérêt à leur égard. Seul lui importait de récupérer son avion en perte de vitesse, qui tombait maintenant en se rapprochant de celui de son leader.

 

Bien qu'éloignés de presque un kilomètre au début de l'action, les deux chasseurs s'étaient  rapprochés en entamant leur demi-boucle. Ils tombaient maintenant dans les airs depuis 45 000 pieds, sur une trajectoire balistique qui allait inexorablement les faire se rentrer dedans. Et ils n'avaient plus le contrôle de leur appareils, les gouvernes ne répondant plus à une vitesse de vol quasiment  nulle.

 

Paul pensa aux deux pilotes de Sabre, 15 000 pieds en dessous, qui devaient bien sourire de l'embarras de leurs homoloques de la Marine. Et cela ne lui plaisait pas de se retrouver dans une telle situation devant des pilotes de l'USAF.

 

En tant qu'ailier, il incombait à Paul de surveiller son écart par rapport à son leader. Il devait absolument tenter quelque chose pour éviter la collision qui allait se produire dans quelques secondes. Dans un mouvement désespéré, il poussa le manche à fond et le maintint comme cela. Le nez de son Cougar eut un mouvement vers le haut, de l'épaisseur d'un cheveu, et il parvint à passer à quelques mètres de l'avion de Rip. Mais il entrait maintenant dans une vrille à plat inversée.

 

"Bon Dieu" cria Paul dans son masque, suspendu dans ses bretelles de sièges, avec toutes sortes d'objets virevoltant dans le cockpit autour de lui: poussières, boulons, goupilles de sécurité du siège. Il appliqua les actions notées dans la procédure de récupération d'une vrille à plat. Mais rien ne se passa. L'avion continuait de tomber sur le dos, les ailes à plat, en tournant sur lui-même.

 

A 25 000 pieds, Rip, qui avait pu récupérer son avion en perdition, l'appella à la radio et lui demanda son altitude et si tout allait bien. Paul lui répondit que tout baignait, mais sur un ton où se mêlaient indignation et dégoût.

 

Il essayait toutes sortes d'actions sur les commandes, puisque celles préconisées pour sortir d'une vrille à plat ne produisaient aucun effet. Il poussa la manette des gaz à fond, puis tenta la puissance minimum. Il essaya d'inverser les commandes, mais tout ce qu'il parvint à faire fut de provoquer un tremblement dans le palonnier. Il se baissa et déconnecta l'amortisseur de lacet, pensant que c'était cela qui maintenait l'appareil dans sa vrille. Passé 15 000 pieds (8), il entendit Rip l'appeler: "Deux, tu ferais mieux de sortir de ce piège".

 

Paul ne répondit pas et continuait de tout faire pour remettre son Cougar en ligne de vol. Brutalement, le chasseur se mit à la verticale avec le nez bas, fit encore deux tours sur lui-même et se mit sur une ligne de descente, d'où Paul put le sortir en en reprenant le contrôle. Il se remit à l'horizontale en regagnant de la vitesse, à la verticale du Mont Tamalpais. L'altimètre indiquait 6000 pieds (9), soit quasiment l'altitude du sommet au-dessus duquel il volait.

 

Le retour à Moffett Field se déroula sans autre incident. Le Cougar n'est pas censé rester aussi longtemps dans une telle vrille à plat. Il était tombé de 39 000 pieds (10)!

 

Durant le débriefing de leur vol, Rip s'excusa sincèrement. Paul ne répondit rien et se blâma lui-même, car il n'aurait pas du le suivre dans une manoeuvre qu'il savait inexécutable. Il se promit alors de ne plus jamais faire une chose pareille, même si son leader le poussait à l'extrême, comme aujourd'hui. C'était une leçon qu'on n'oublie pas.

 

 

 

Rip s'excusait encore lorsqu'ils quittèrent la salle de briefing et invita Paul à prendre un verre. Comme on était Vendredi après-midi, Paul accepta. Il ne pouvait pas en vouloir à Rip. Personne ne pouvait d'ailleurs lui en vouloir pour quoi que ce soit. Il avait de telles manières et un sourire si désarmant, qu'il aurait pu charmer n'importe qui. Même le commandant adjoint de la flotille, "Tiny" Graning. Le club des officiers de Moffett Field commençait à se remplir lorsque Paul et Rip y entrèrent.

 

Paul et un des ses camarades, Buck Baillie, avaient un rendez-vous le soir-même avec deux infirmières. Comme Rip était seul, sa famille n'étant pas en ville à cette période, Paul l'invita à se joindre à eux. Naturellement, il accepta.

 

Lorsque Rip rejoint Paul et Buck au club, il était évident qu'il avait un peu trop bu. Tout le monde prit sa place à table et une joyeuse conversation débuta. Cependant, Rip avait déjà commandé un énorme steak et l'avait attaqué, pendant que les autres convives attendaient leur repas en sirotant un apéritif.

 

La conversation que Paul tenait avec sa voisine fut interrompue par un bruit sourd et un gargouillis. Paul regarda sur sa droite où se trouvait Rip. Il le vit alors la tête dans son assiette, ronflant sur son steak. Cela jeta un froid à la table, évidemment.

 

Ne pouvant rester dans une  telle situation, Buck aida Paul à charger Rip sur son épaule, à la façon des pompiers. Puis, ils traversèrent la salle bondée avec un air aussi détaché que possible. Paul ne s'était pas aperçu que Rip, dans un sursaut de conscience, avait attrapé son steak de son assiette. Et maintenant, à chaque pas, le steak saignant que Rip tenait dans sa main, venait taper sur le veston de Paul.

 

Portant les 80 kgs de Rip dans sa voiture, puis après avoir gravi les escaliers du BOQ (Bachelor Officers Quarter), Paul installa Rip dans le second lit, inoccupé, de sa chambre d'officier. Finalement, au bout d'une petite heure, Buck et Paul étaient de retour, avec un veston propre. La soirée prit alors un tour beaucoup plus agréable.

 

Le lendemain matin, Paul fut réveillé par un bruit inhabituel. Il se retourna et vit Rip, assis en tailleur sur son lit, encore en caleçon, en train de déchiqueter à pleines dents son steak qu'il tenait dans ses mains.

 

"En veux-tu un morceau?".  Paul en eut un haut le coeur.

 

(Librement traduit et adapté de Vulture's Row, de Paul Gillcrist, Ed. Shiffer)

 

 

(1) Capitaine

(2) Lieutenant

(3) Carnet de vol

(4) "Bleu"

(5) Environ 12 000 mètres

(6) Environ 8 kms

(7) Environ 160 km/h

(8) Environ 5 000 mètres

(9) Environ 2 000 mètres

(10) Environ 13 000 mètres



08/09/2012
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